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La lettre de la SRF
Société des réalisateurs de films

Publication semestrielle de la SRF

N° 96

Avril 2012
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Ci-dessous, extrait de cette lettre n°96, la contribution de Vanina Vignal
LA CREATION DOCUMENTAIRE, A QUEL  PRIX (?)
Je fais partie des réalisateurs qui ont la chance de voir leurs films sélectionnés dans les festivals, de les voir rencontrer un public en salle et même à la télévision grâce aux prix en festivals. Pourtant, je me demande chaque fois si je vais avoir la force de recommencer ce parcours du combattant tant il est devenu compliqué de réunir les financements d’un film.
Il y a 20 ans, mes aînés se sont mobilisés pour faire changer les choses. Ils ont réussi à bouleverser pas mal d’habitudes, à inventer un nouveau vocabulaire, à partager leur manière de faire, à imaginer de nouvelles façons de financer les films, à permettre un meilleur accompagnement dans le développement de leurs films.
La situation est redevenue aussi critique qu’il y a 20 ans. Les associations continuent de crier gare, sans désormais parvenir à enrayer un mouvement de fond mortifère : le documentaire est à la mode à la boutonnière des décideurs, mais presque plus rien ne permet la création. Les télévisions ont quasiment abdiqué et les organismes d’aide à la création sont plus que frileux. Il est infiniment compliqué de financer des films d’auteurs, ceux dont la fin n’est pas inscrite dans le dossier d’écriture. Quand ils se risquent encore à produire nos films, les producteurs ne trouvent plus assez d’argent, et ce sont bien souvent les auteurs qui finissent par assumer tous les risques, sans contrepartie. Ces difficultés prolongent considérablement le temps de fabrication des films quand ils ne tuent pas le désir dans l’œuf.
Je ne suis pas productrice et ne désire pas le devenir. Mais j’ai créé ma boite de production. C’est la seule manière que j’ai trouvée pour pouvoir transformer l’argent généré par un film, en salaires et droits d’auteur en fonds d’écriture et de développement du film suivant. Ce sont ces phases qui ne sont jamais rémunérées par les producteurs des films à petits budgets. C’est aussi la seule manière que j’ai trouvée pour pouvoir instaurer une relation de travail équilibrée avec mes coproducteurs. Mais ce n’est pas une solution : tous les réalisateurs ne peuvent pas devenir des pseudos patrons pour assurer leur survie.
Je fais des « films à tout prix ». C’est ma manière de comprendre le monde dans lequel je vis, et de m’y inscrire. Je vais donc continuer à les fabriquer avec mes bouts de ficelles, à ma façon, sans aucune contrainte artistique, coûte que coûte mais avec très peu d’argent. Mais je me dis que c’est tout de même un comble dans le pays de l’exception culturelle dont le monde entier envie le système mutualiste unique…
Dernièrement, j’écoutais Denis Côté, un réalisateur québécois, nous raconter notamment comment il avait tourné la plupart de ses films, avec des budgets de 15000 dollars et des équipes pas rémunérées. Je me souviens de chacun de ses films comme autant de gestes spontanés à l’énergie contagieuse. Je me suis surprise à envier l’insolente énergie de celui qui n’attend plus rien des décideurs. Un comble, non ?
Comment faire pour que ce vent d’insolence souffle de nouveau sur le CNC, sur une télévision comme ARTE, chez nos amis distributeurs et exploitants ? Est-il définitivement interdit de rêver que nos financeurs comprennent que les spectateurs aspirent à autre chose que des lignes éditoriales prémâchées ou déjà dégluties ? De rêver qu’ils fassent de nouveau entrer la vie dans leurs commissions ? De rêver que nous, réalisateurs de films, puisions vivre de cet art qui est aussi tout simplement un métier ?
Vanina Vignal
Vanina Vignal vient de terminer APRES LE SILENCE ce qui n’est pas dit n’existe pas, deuxième film d’une trilogie roumaine, déjà sélectionné au festival Cinéma du réel de Paris, et au festival Visions du réel de Nyon en Suisse.
www.apreslesilence-lefilm.com

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N° 95
Décembre 2011
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