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Guérir les blessures… de ceux qui ne sont pas morts
Independencia
http://independencia.fr/revue/spip.php?article527
mercredi 4 avril 2012
par Camille Brunel
Vanina Vignal intervient : « S’il y a des places à côté de vous, dite-le ! Il y a des gens qui ne peuvent pas rentrer ! ». Ce film lui tient particulièrement à cœur : elle y enregistre le témoignage d’une amie d’enfance ayant grandi sous Ceauşescu. Quête de ce que recèle un regard, toujours. Où est la dictature, où sont ses séquelles, dans les yeux verts de cette jolie femme de 40 ans que l’on voit, interviewée ici, là adolescente sur des films de famille exhumés entrecoupant les séquences de réminiscence. Où est la dictature dans les yeux de la jeune femme qui embrasse Kevin Costner, sur une poignée de photogrammes de 1985 ? Il y a aussi ce moment où une vieille photo s’affiche sur l’écran de cinéma : elle représente une grand-mère fatiguée tenant sur ses cuisses une fillette fixant l’objectif. Le plan est long, immobile. Quatre yeux sur l’écran, 200 dans la salle. Chiens de faïence. L’effet est proche de celui que produisaient les yeux d’animaux dans « Bestiaire » de Denis Côté (cinéma du réel 2012). On se sent regardé, profondément. Quelque chose se passe, quelque chose passe. Le silence est complet. Ces quatre yeux ont vu la dictature, une étrangeté triste que sonde Vanina Vignal, jamais dupe de ce qui reste tu : derrière les intervenants, un miroir rappelle souvent qu’une face cachée demeure. Les yeux sont les héros de ce film-ci : arrêts sur image sur le regard perdu dans le vague d’un grand-père rescapé des travaux forcés, de l’héroïne embrigadée dans un film de propagande. Cela serait peut-être trop en dehors du contexte de ce traité des regards qu’est Après le Silence.
Après le silence se garde de verser dans le discours politique. Tout au plus est-il question de la façon dont les Roumains ne parlaient pas politique à l’époque où celle-ci constituait une blessure. Passionnante interview d’une pré-ado en 2012 : pour se libérer du passé, elle n’en parle pas, elle non plus. Pour ne pas sombrer dans une colère aliénante qui la rattacherait malgré elle à un passé dont elle ne veut pas, la gamine n’en dit pas un mot. Trois silences, donc : celui de l’époque, celui du témoignage, celui de la fillette. Le silence au passé, au présent, au futur, toujours employé dans un seul et même but, éviter de toucher à la plaie. Passée la dictature, le peuple roumain continue de se plaindre, raconte la jeune femme. Incapables de  prendre leur vie en main, les individus ne furent pas plus heureux lorsqu’ils acquirent des libertés dont ils ne savaient que faire. Dernier plan du film : deux femmes identiques se suivent. Deux modes de vie. Des clones. Les motifs de la semaine précédente continuent d’affluer : comment ne pas penser à la passivité des habitants de Corbeil-Essone dans « La Cause et l’usage » (cinéma du réel 2012), individus dépolitisés se réjouissant d’avoir un petit père pour les prendre par la main, et qu’un simulacre de démocratie satisfait.